Interview d'Amélie Boucher

Ergonomie Web et architecture de l'information

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Consultante en ergonomie et architecture de l'information, Amélie Boucher est diplômée de l'Université Paris 5. Elle travaille sur l'optimisation d'interfaces web et mobiles pour Alcatel, SFR, la Camif, la Caisse d'Épargne, EMI, la Poste, OSEO... Également auteure du livre Ergonomie Web, paru aux Editions Eyrolles, elle n'hésite pas à nous faire profiter de son savoir-faire dans ce domaine si peu abordé dans les ouvrages de conception Web.

L'ergonomie c'est comme le référencement : les secrets sont généralement bien gardés ! Cet ouvrage s'aventure donc dans les terres inconnues de l'Edition. Qu'est-ce que Ergonomie web, paru aux Editions Eyrolles, apporte aux lecteurs en quête d'informations en matière d'ergonomie et à qui s'adresse-t-il ?

Amélie Boucher : C'est un non-sens de vouloir faire de l'ergonomie une discipline qui entretienne la culture du secret. Mon objectif en écrivant ce livre est justement de donner à tous les bases de réflexion nécessaires pour concevoir des sites agréables à utiliser.

Ergonomie web offre donc à la fois des conseils pratiques simples à appliquer et des pistes méthodologiques pour intégrer l'ergonomie au quotidien dans un projet web.
Cependant, l'ouvrage ne se limite pas à cela. Il expose aussi les fondements théoriques qui sous-tendent les grandes règles d'ergonomie. Ainsi, il est à la fois intéressant pour découvrir cette discipline, mais aussi pour approfondir ses connaissances. Ce faisant, il s'adresse à la fois aux débutants et aux lecteurs plus avancés.

Quelque soit leur métier, tous les acteurs du web pourront y acquérir un niveau de base, une sorte de "culture générale" d'ergonomie web. Il est d'ailleurs absolument nécessaire que nous partagions tous cette culture. C'est ce qui nous permettra de promouvoir un meilleur Internet, pensé pour ses utilisateurs. Ensuite, chacun en fonction de son métier (décisionnaire, chef de projet, concepteur, designer, intégrateur, webmaster, etc.) entretiendra ses propres affinités avec chacun des 12 chapitres qui composent le livre.

On comprend bien à la lecture de votre ouvrage que l'ergonomie ce n'est pas que du bon sens et d'ailleurs qu'est-ce que le "bon sens" ! Il nous montre qu'il n'y a pas de recette miracle mais qu'il existe des normes. Par qui et comment ces normes sont-elles établies ? Comment les utiliser ?

A.B. : En effet, il suffit de jeter un coup d'oeil sur un panel de sites web pour s'apercevoir que bon nombre de défauts ergonomiques semblent relever de ce que l'on appelle le "bon sens". Or, si c'était le cas, ces défauts n'existeraient pas !

Lorsque l'on travaille sur l'ergonomie d'un site, il y a un nombre considérable de paramètres à prendre en compte, qui se croisent pour donner en sortie un "score total" d'ergonomie. Les normes d'ergonomie sont de trois types.

Il existe d'abord les véritables "normes", au sens propre, de type ISO. Elles sont créées par des organismes dédiés à la normalisation et à la certification (on peut notamment citer l'ISO 9241, et l'ISO 13407, plus axée sur l'aspect méthodologique, ainsi que de manière plus étendue l'ISO 9126 et l'ISO SQuaRE).

Il existe en parallèle de ces normes d'autres références formelles (publications, ouvrages, thèses, etc.), qui viennent appuyer les ergonomes dans leur travail.

Enfin, un grand nombre de conventions, plus ou moins formalisées, qui participent de ce que l'on appelle l'ergonomie d'un site.

Mais l'ergonomie ne se résume pas, et surtout ne commence pas, avec des règles. Elle s'attache à l'internaute, à partir de ses caractéristiques en tant qu'être humain, en tant qu'individu, en tant que visiteur d'un site web, et de ses objectifs. Autour de cette préoccupation permanente de l'internaute, gravitent des méthodes et des règles qui permettent de s'adapter aux besoins des visiteurs d'un site web.

Quelle est selon vous la "meilleure méthode" pour concevoir un site adapté à sa cible ? Dans le chapitre 4 de votre livre, vous citez une méthode pour se mettre à la place de sa cible utilisateur lors de la phase de développement de son interface Web. Il s'agit de la création de personas. Qu'est-ce qu'un persona et quelles sont les principales questions à se poser pour construire ses personas ? Un seul persona peut-il suffir ?

A.B. : Il n'y a pas de recette miracle, et pas non plus de meilleure méthode en soi. La meilleure méthode est celle qui sera adaptée aux exigences de votre projet, que l'on parle en termes de ressources d'expertise, de budget ou de temps disponible.

La méthode des personas est parmi les plus accessibles de celles qui sont présentées dans l'ouvrage. Pour faire court, un persona est un profil utilisateur créé de toutes pièces pour représenter la cible ergonomique d'un site web. C'est donc une personne "virtuelle", qui va servir de référent à toute l'équipe pour considérer les exigences utilisateur.

Prenons par exemple Clément, 19 ans, étudiant. Si on a déterminé qu'un de ses objectifs principaux en arrivant sur le site de SFR Music est de télécharger la sonnerie de la chanson qu'il préfère en ce moment, on doit tout mettre en oeuvre pour lui faciliter la tâche, tout en prenant en compte les objectifs stratégiques et marketing.

Finalement, la méthode des personas découle naturellement de l'objectif premier de l'ergonomie web : adapter un site à ce que l'on connaît de l'internaute. Et ce que l'on en connaît peut s'observer en deux temps : d'une part, des données socio-démographiques, et d'autre part des données pratiques, liées à son utilisation du web en général et du site en particulier.
On s'intéresse donc principalement aux objectifs de l'utilisateur qui arrive sur un site, et au contexte dans lequel il y arrive.

La question de fond à se poser lorsque l'on souhaite créer des personas est de savoir pour qui l'on souhaite adapter le site, et ce que l'on veut pousser en termes d'actions utilisateur. Autrement dit, à qui veut-on s'adresser ? (ce qui peut être différent de la cible réelle du site), que viennent faire les internautes sur notre site, mais aussi que veut-on les voir faire ? Bien que l'on cherche à "nourrir" les profils des personas de données réelles (statistiques, enquêtes, études, etc.), il faut comprendre que le persona est aussi une projection dans le futur, un objectif à atteindre. Il ne correspond donc pas toujours strictement à une réalité utilisateur à un instant.

Et pour finir, oui, un seul persona peut suffire, s'il vous permet de décrire votre cible d'un point de vue ergonomique. Il est cependant très fréquent de créer plusieurs personas. Ces profils utilisateurs peuvent être hiérarchisés. On parle ainsi de persona primaire, secondaire, ou même d'ante-persona... Ces finesses méthodologiques sont abordées en détails dans le chapitre 4 de l'ouvrage.

Dans Ergonomie web, l'analyse de l'ergonomie d'un site semble sans "fin". Elle se pratique en amont comme en aval de la phase de développement et même pendant. Quelles sont les étapes qui, selon vous, sont indispensables dans le cadre d'une réflexion ergonomique ?

A.B. : Effectivement, l'ergonomie est une préoccupation qui doit être permanente dans un projet web. Alors qu'un bon nombre de métiers historiques du web sont assez séquentiels (globalement, on intervient les uns après les autres), l'ergonomie a un rôle à jouer pendant toutes les phases de vie du projet.

Evidemment, il y a des pics, des moments privilégiés, pour intervenir d'un point de vue ergonomique. Le premier principe est le suivant : plus tôt on se préoccupe de l'ergonomie, mieux c'est. Cela semble une évidence, et pourtant. L'ergonomie est souvent appelée à la rescousse quand le projet est plus ou moins terminé, et c'est une grave erreur.

La mise en place de la méthodologie la plus adaptée aux caractéristiques du projet, c'est déjà de l'ergonomie. Disons que ce choix déterminera grandement la qualité finale du site en termes de confort utilisateur. Il y a quelques "trucs" à éviter, qui permettent d'optimiser les flux de production, comme par exemple :

  • valider les maquettes graphiques avant de passer à leur intégration en html ;
  • ne pas attendre d'avoir finalisé le site pour penser à faire des tests utilisateurs (les modifications sont en effet beaucoup plus faciles à réaliser lorsque l'on est encore en phase de conception) ;
  • valider des maquettes conceptuelles avec son client avant de monter le site ;
  • Etc., etc.

Il y a un autre réflexe très important à adopter, qui relève plutôt de l'interaction entre les différents métiers du web. On se rend compte que les problématiques ergonomiques sont souvent à la croisée de nombreux autres domaines, qui ont tous leur expertise à apporter au projet général.
Il est donc indispensable de prendre en compte dès le départ les contraintes de tous, afin de ne pas imaginer une interface ergonomique dans l'idéal, mais qui ne verrait jamais le jour parce qu'elle n'a pas su intégrer d'autres dimensions que l'utilisabilité.
Autrement dit, ne pas travailler tout seul sur son nuage... La qualité d'utilisation d'un site se construit à plusieurs, nécessairement.

Quels sont les sites que vous appréciez pour leur qualité de conception (ergonomie, technologie, etc.) ?

A.B. : Quelques favoris, pour leur utilisabilité mais aussi pour leur utilité (notamment en termes de fonctionnalités et de contenu) : amazon.com, last.fm, threadless.com... Et Gmail et Calendar pour le côté applicatif.

Quels sont les différents moyens d'évaluer l'efficacité et la qualité de conception d'un site ?

A.B. : Deux grands types de méthodes sont à notre disposition pour juger de l'ergonomie d'un site web. On distingue d'une part ce que l'on appelle des méthodes participatives, c'est-à-dire qui font appel aux internautes. On essaie de comprendre leur manière de penser, de raisonner, de ranger les choses dans leur tête, et de naviguer sur le web face à une interface qui leur est imposée. Le meilleur moyen d'y parvenir consiste à les observer et à les écouter.

Les méthodes participatives sont des méthodes d'ergonomie privilégiées, puisqu'elles permettent d'être proche des usages réels. Dans le livre, nous présentons largement les méthodes du tri de cartes (chapitre 10) et du test utilisateur (chapitre 11).

Le second type de méthodes relève de l'audit ergonomique : on compare un site existant aux normes et conventions d'ergonomie, et à ce que l'on connaît du comportement des internautes sur le web. On peut coupler cet audit avec de l'analyse des statistiques de visite, du benchmark ergonomique, etc. Nous abordons aussi ces thématiques au cours des chapitres 6 et 7.

Quels conseils donneriez vous aux jeunes concepteurs de sites ?

A.B. : D'être sans cesse à l'écoute de ce qui se passe sur le web, et de travailler en collaboration avec les autres métiers pour essayer de créer des sites qui soient les plus qualitatifs possibles. De regarder autour d'eux, de s'inspirer de ce qu'ils voient dans le monde "réel", et de toujours revenir aux questions de fond : qui sont leurs internautes, que viennent-ils faire, qu'attendent-ils du site ?

Propos recueillis par Laetitia Maraninchi.

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