Interview de Alain Thibault et Bruno Dufour

Les meilleures pratiques du développement des dirigeants


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Bruno Dufour, coauteur, conseil en stratégie RH auprès de nombreuses directions générales est un spécialiste des universités d'entreprises.




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Alain Thibault, auteur de la préface, est PDG de Bernard Julhiet Group, partenaire des Éditions d'Organisation dans la publication de l'ouvrage.




Alain Thibault, pourquoi Bernard Julhiet Group s'est impliqué dans ce livre ?

Alain Thibault : J'ai avant tout eu le plaisir de contribuer à un livre dont le thème principal, le développement des compétences, est le coeur de métier de Bernard Julhiet Group. Cette participation est donc liée au sujet en lui-même, à savoir l'importance, pour une entreprise, de travailler sur les compétences de ses dirigeants et de les développer à travers le prisme de l'innovation et de la création. C'est une condition sine qua non pour faire avancer le projet d'une entreprise. Les entreprises ont surinvesti dans les processus et les systèmes et sous-investi dans les hommes.
De plus, cet ouvrage a été conçu dans une logique d'échanges sur les « best practices » des entités européennes. Il apporte de nouveaux éclairages sur le processus d'apprentissage en entreprise, l'analyse et la mise en perspective des meilleures pratiques. Il s'inscrit dans une véritable logique d'échanges et c'est ce qui m'a particulièrement intéressé.

Quels sont les enjeux de la performance des entreprises ?

Bruno Dufour : L'enjeu principal repose sur les personnes : il s'agit de stimuler, au travers des développements individuels et organisationnels, la créativité et l'innovation, qui sont les moteurs de la croissance et de la performance de l'entreprise. L'objet n'est pas tant d'améliorer les connaissances mais de résoudre des questions complexes et transverses en optimisant les ressources, en améliorant les performances, en réduisant les coûts de transaction interne et en « désilotant » l'entreprise. La capacité d'une entreprise à désapprendre et à apprendre est devenue un facteur de succès, autant que la cohérence et l'alignement entre les programmes, le choix des participants, les pratiques, les processus et la stratégie.

Selon vous, la formation est le principal levier du développement du capital humain. Pourquoi  ?

Alain Thibault : Oui, la formation est capitale pour les entreprises sur le plan stratégique. Il est donc indispensable de professionnaliser davantage les formateurs qui contribuent au développement de l'entreprise et du capital humain. Une entreprise doit être une organisation apprenante pour ses collaborateurs, tant au niveau du développement des compétences que du travail sur le comportement. Les compétences individuelles et collectives sont la capacité de l'entreprise et des collaborateurs à acquérir, développer et mobiliser les savoirs, savoir-faire et savoir-être. Ils sont nécessaires à l'atteinte des objectifs de l'entreprise et à son développement futur.

Est-ce la fin de la formation classique ?

Bruno Dufour : Peut-être est-ce la fin d'un certain type de formation, en séminaire résidentiel classique, car les modes d'apprentissage ont évolué. Ils sont désormais moins fragmentés et formalisés, et plus centrés et intégrés à la mise en oeuvre. L'accent est mis sur la stratégie, la transformation, l'adaptation aux besoins concrets (« customisation »), l'action learning, le travail en équipe et en réseau physique ou virtuel, l'e-learning, le déploiement en cascade, les processus de soutien.

L'étude montre qu'il n'existe pas de recette unique, mais qu'il s'agit surtout de trouver le bon assemblage. Les besoins des entreprises et des dirigeants sont en constante évolution. Ils appellent plus d'innovation, de réactivité, de transformation et de reconception du modèle de fonctionnement, ainsi qu'un management plus fin des talents de l'entreprise. Les organisations sont à la fois chaotiques et ordonnées (« chaordic ») et cela crée des besoins de compétences et savoir-faire nouveaux.

Ce changement implique une remise en cause des missions et de l'organisation de la fonction RH. Il n'est pas rare en effet que les responsables des différents départements RH aient du mal à mettre en place les processus favorisant la coopération et la complémentarité de leurs actions, chacun défendant âprement son pré carré. L'impact sur la fonction RH est sensible, ce qui l'amène à devenir un véritable partenaire actif de la stratégie.

Comment les entreprises vont-elles répondre à ces nouveaux besoins ?

Bruno Dufour : L'offre sera moins centrée sur des programmes, quelque soit leur qualité et le prestige des institutions qui les délivrent. Leur adaptation au contexte de l'entreprise, souvent par l'intermédiaire de partenariats sophistiqués, mais réalisée grâce à un assemblage (« blended ») de pratiques d'apprenance, devient cruciale.

Il restera certes quelques programmes pour souligner les grandes promotions de la vie professionnelle des managers, en fonction de leur progression dans l'entreprise, mais les programmes ou projets seront de plus en plus mêlés à des processus.

La forme actuelle la plus achevée pour les entreprises est communément appelée l'Université Interne. Elle recouvre des réalités variées. La plus ancienne en Europe est celle de Fiat dans les années 70, mais il en existe une bonne cinquantaine d'autres (ABB, ABN, ING, Alcatel, Allianz, Ergo, Union Fenosa, Novartis, L'Oréal, Heineken, Daimler Chrysler, BP, UBS, Swiss Ré, STMicroelectronics, GE, GM, Barclay's, Deutsche Bank, EDF, Carrefour...) et il s'en crée régulièrement.

Les objectifs sont nombreux et variés : développement des personnes, développement organisationnel, préoccupations de partage des valeurs et de la culture de l'entreprise, recrutement et rétention des talents, formation des futurs leaders, amélioration des performances, déploiement de la stratégie, besoin de transformation et de changement, partage des meilleures pratiques, création de réseaux internes, etc.

Ces universités internes répondent à des cycles de vie qui couvrent plusieurs fonctions : la fonction formation traditionnelle au départ, puis celle de gardien et promoteur des valeurs et des processus internes ; la fonction créatrice de plateforme culturelle, commune d'échanges dans des réseaux virtuels ; la fonction d'accélérateur, de moteur des initiatives stratégiques et de source de revitalisation ; et enfin la fonction d'une marque/identité forte rassemblant les personnes de l'entreprise.

Pourquoi faire le choix d'une université d'entreprise ?

Bruno Dufour : Les avantages sont multiples. Les dirigeants travaillent dès lors sur des problèmes concrets dont les résultats sont attendus par leurs patrons. Cela coûte moins cher que de faire appel à des consultants, l'apprenance est faite sur le terrain par des personnes qui connaissent l'entreprise et dont les recommandations seront naturellement pertinentes et adaptées. C'est motivant pour ceux qui sont impliqués, et cela leur donne l'opportunité de montrer ce dont ils sont capables.

Par ailleurs, si le projet est retenu, l'entreprise sait très rapidement à qui le confier, car le processus a permis d'identifier le champion interne. Ces approches sont donc simultanément des processus d'identification et de développement de leadership.
Le calcul du retour sur investissement des actions de formation classiques étant difficile, il est plus simple de rendre ces nouvelles initiatives efficaces pour en justifier l'existence.

Il s'agit désormais pour les entreprises de « savoir ce qu'elles savent, qui le sait et qui peut le faire ». En passant dans l'ère de l'économie de la connaissance, les entreprises doivent donc apprendre à développer, manager et accompagner les talents. Elles pourraient alors se tourner vers les institutions académiques ou les grands cabinets de consultants qui en ont fait leur savoir-faire de base. Car désormais manager des dirigeants n'est plus très éloigné du management d'un corps d'enseignants-chercheurs.

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